La pause déjeuner : un temps sacrifié sur l’autel de la productivité
Comme tout le monde (ou presque), je déjeune.
Oui, mais peut-être pas comme tout le monde.
En effet, j’ai pris l’habitude, quel que soit mon agenda, de prendre une pause déjeuner.
Évidemment, il m’est arrivé de sauter ce repas, pour des raisons professionnelles ou parce que je n’avais tout simplement pas d’endroit où déjeuner sainement.
Mais quand je parle de pause déjeuner, je parle bien de pause.
De quitter l’entreprise, de voir un autre cadre, d’autres personnes.
Dans mes précédentes vies professionnelles, même si je déjeunais avec des collègues, sortir du bureau s’avérait beaucoup plus productif que d’enfiler un sandwich ou une salade derrière un écran, en dix minutes, avec le sentiment du devoir accompli et du « temps de présence ».
(Digestion difficile, coup de barre de 16 h… tout cela peut être facilement réglé – ou au moins atténué – en mangeant mieux et ailleurs.)
Dans une des entreprises où j’ai travaillé, j’étais presque obligé de bloquer mon créneau déjeuner dans l’agenda. Sinon, j’étais invité à une réunion « plateau-repas » quasi quotidiennement.
Je me souviens même d’une scène cocasse : en accompagnant une société de production de produits alimentaires, je me suis retrouvé à manger des sushis livrés par un coursier, dans une salle de réunion sans fenêtre, pendant qu’on m’expliquait les bienfaits de « bien manger » et de « prendre le temps de cuisiner »…
Pourquoi parler de cette pause déjeuner ?
Simplement parce qu’on parle de plus en plus de Qualité de Vie au Travail, de bien-être, de prévention, de burn-out.
Or, il est pour moi plus important de prendre ce temps de déjeuner, de sortir du cadre, que d’avoir un baby-foot ou de se faire masser une ou deux fois par an.
Il est aussi plus important d’avoir un manager qui salue son équipe et serre la main, plutôt qu’un vague salut lancé en arrivant.
C’est ça aussi, la qualité de vie au travail. Peut-être même surtout.
Manger : un acte vital devenu secondaire
La société nous a fait oublier que manger est un acte vital, comme respirer ou dormir.
Que se nourrir, ce n’est pas seulement manger : c’est aussi s’élever, se former, s’enrichir.
Partager ce moment, apprendre à se connaître autour du repas, se nourrir aussi des échanges – tout cela compte.
Et, à titre personnel, j’accorde une vraie importance à choisir avec qui déjeuner.
Si déjeuner est vital, partageons ce moment pour de vrai.
Autrefois, manger était la principale préoccupation des peuples.
Aujourd’hui, c’est d’y passer le moins de temps possible, tout en scrollant sur son smartphone.
De tout temps pourtant, le repas a été un moment d’échanges, de négociation, voire de démonstration de puissance.
Et aujourd’hui, le temps passé à table ne cesse de diminuer : 22 minutes en moyenne, contre 1 h 38 il y a vingt ans.
La France reste au-dessus de la moyenne européenne – avec l’Italie et l’Espagne – mais la tendance est là : tout est fait pour réduire ce temps, pour nous rendre plus « productifs ».
Mais en quoi, au juste ?
Les bienfaits prouvés d’une vraie pause déjeuner
Il est pourtant prouvé que faire des coupures dans sa journée nous rend plus concentrés.
Et que bien manger (très vaste sujet) reste la base du bien-être.
Quatre siècles avant J.-C., Hippocrate l’avait déjà dit : « Nous sommes ce que nous mangeons ».
Et c’est vrai.
Reprendre le temps de manger : un choix gagnant
Manger est un plaisir.
Alors, plutôt que de manger vite, pensons à manger bien.
Prenons le temps. Retrouvons nos collègues, retournons au restaurant, discutons, découvrons, vivons une expérience.
Auteur : Nicolas Verhulst
Pensées : Le temps du repas, un révélateur de nos rythmes de vie
Derrière le simple fait de « prendre » ou non sa pause déjeuner, c’est tout notre rapport au temps et au travail qui se joue.
En vingt ans, le repas du midi a fondu comme un carré de chocolat au soleil : 22 minutes aujourd’hui, contre 1 h 38 autrefois. Et si 74 % des salariés disent encore s’accorder plus de trente minutes de pause, une part non négligeable (11 %) mangent désormais devant leurs écrans, tandis que 15 % engloutissent leur déjeuner en quelques minutes à peine (Insee).
Manger vite, manger seul, manger sans vraiment s’arrêter : ces nouveaux usages en disent long sur nos priorités.
Ils traduisent une tension constante entre productivité et attention à soi. Comme si l’efficacité passait nécessairement par la suppression de tout « temps mort ». Pourtant, ces pauses ne sont pas un luxe : ce sont des respirations nécessaires à notre équilibre, à notre créativité, à notre santé même.
Éclairage : Ce que dit la science (et la vie de bureau)
Selon la médecin nutritionniste Laurence Plumey, le déjeuner est le repas le plus important de la journée : il représente à lui seul près de la moitié des besoins nutritionnels quotidiens. Il aide à récupérer de la fatigue du matin et conditionne notre efficacité pour l’après-midi.
Manger vite ou distraitement, c’est perturber ce processus : on mâche moins, on assimile mal, on n’écoute pas son corps. Une étude de l’Université d’Indianapolis l’a montré : les personnes qui mâchaient lentement avaient moins faim pendant les trois heures suivantes. À l’inverse, avaler sans attention conduit souvent à compenser par des grignotages – ces fameuses fringales de 16 h – ou par des dîners trop riches.
Les effets ne sont pas qu’alimentaires.
Des chercheurs berlinois ont comparé deux groupes : des personnes déjeunant seules à leur bureau, et d’autres partageant un repas à table avec des collègues. Résultat : ceux qui prenaient un vrai repas collectif étaient plus détendus, plus expressifs et plus créatifs dans l’après-midi.
Autrement dit : la pause nourrit aussi la tête.
Certaines entreprises l’ont compris et réinventent ce moment.
Chez La Ruche qui dit Oui !, les salariés participent chaque midi à l’initiative « Tous à poêle au bureau » : deux ou trois personnes cuisinent pour le reste de l’équipe, avec les produits fournis par l’entreprise. Repas bio, équilibré, partagé – pour environ trois euros par personne.
D’autres vont plus loin encore, en installant des potagers collaboratifs : Macadam Gardens aménage des jardins sur les toits, Ciel, mon Radis ! des potagers d’intérieur. Le midi, on récolte les herbes ou tomates qu’on a soi-même cultivées. Manger ensemble, littéralement « de ses mains », redonne tout son sens au mot pause.
Clé de lecture : Manger, c’est aussi travailler mieux
La pause déjeuner n’est pas une parenthèse inutile, c’est une condition de performance durable.
Bien manger, c’est mieux penser.
Partager un repas, c’est renforcer les liens, apaiser les tensions, stimuler la créativité.
Et prendre le temps, c’est respecter ce que notre corps et notre esprit réclament : une respiration.
Alors, la prochaine fois que vous hésitez entre un sandwich devant votre écran et un vrai déjeuner, posez-vous une question simple : de quoi ai-je envie de me nourrir, aujourd’hui ?
De mails et de chiffres ou d’échanges et d’air frais ?
Le travail reprendra ensuite, souvent avec plus d’envie … et d’idées.